Procès:
  Les Mystères du peuple est condamné en 1857 par le procureur impérial Ernest Pinard : " L'auteur des Mystères du peuple n'a entrepris cet ouvrage et ne l'a continué que dans un but évident de démoralisation. "
La Cour impériale de Paris, reprochait entre autres à Eugène Sue :
" L'outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes moeurs ; 2° l'outrage à la religion catholique ; 3° l'excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres ; 4° l'apologie de faits qualifiés crimes ou délits par la loi pénale ; 5° les attaques contre le principe de la propriété ; 6° l'excitation à la haine et au mépris du gouvernement établi par la Constitution, délits prévus et punis par les articles 6 de la loi du 26 mai 1819, 1er de la loi du 25 mars 1822, 3 de la loi du 27 juillet 1849, et 3 et 4 de la loi du 18 août 1848. "
  Il ne peut défendre son livre contre les accusations qui lui sont imputées. Le jugement est rendu un mois après son décès, le 25 septembre 1857, et impose " La destruction des clichés et la suppression de l'ouvrage Les Mystères du Peuple, par Eugène Sue, de tous les exemplaires saisis et de tous ceux qui pourront l'être et en ordonne l'entière suppression. " L'oeuvre est également interdite en Allemagne, en Italie et en Russie.
Le dossier du procès mené contre Les Mystères du peuple a été détruit dans l'incendie du Tribunal de la Seine en 1871. Malgré les condamnations, " il n'y a eut qu'une seule interruption (des livraisons), du 26 novembre 1851 au 15 juin 1853. "
  Voici le texte qui fut publié dans La Gazette des tribunaux le 25 septembre 1857.
But du présent écrit:
  Eugène Sue, l'auteur du livre pour la publication duquel ont été condamnés M. de La Châtre, Chabot dit Fontenay et, Mme Dondey-Dupré, est mort pendant l'instruction. Il habitait Annecy, en Savoie, et sa rentrée en France lui était interdite. Il n'a pas été appelé à s'expliquer devant M. le juge d'instruction ; il n'a pas pu justifier son but moral, l'intention honnête de son livre, et de se défendre de l'accusation à la suite de laquelle est intervenu le jugement qu'on va lire.
Ce jugement ne se borne pas à condamner comme publicateurs les inculpés ; il a aussi, dans la forme la plus explicite, condamné le livre et flétri les sentiments de l'auteur de qualifications terribles, qui portent une profonde affliction dans les âmes des parents et des amis de l'illustre écrivain.
M de La Châtre, ami dévoué d'Eugène Sue, a interjeté appel pour s'efforcer d'obtenir de la Cour, la réformation de cette douloureuse sentence, non-seulement, dans la partie où il est frappé lui-même d'une condamnation qu'il croit imméritée, mais surtout dans la partie qui pèse si cruellement sur la mémoire d'Eugène Sue.
Il lui a semblé que le meilleur moyen de faire connaître à la Cour l'esprit dans lequel le livre a été exécuté consisterait à extraire des préfaces et des notes les explications fournies à ce sujet par l'auteur.
Nous espérons que la Cour n'y verra pas cette perversité systématique à laquelle a cru le Tribunal, quand il a placé en tête du jugement cette phrase qui résume toute la condamnation :
" L'auteur des Mystères du Peuple, Eugène Sue, n'a entrepris cet ouvrage et ne l'a continué que dans un but évident de démoralisation . "
Nous réunissons donc ici, d'abord le texte du jugement, puis les passages des préfaces et des notes qui nous semblent réfuter les divers motifs de la sentence, en indiquant d'ailleurs, ceux des passages incriminés à la défense desquels peuvent servir ces fragments de l'auteur.
COUR IMPERIALE DE PARIS
(chambre correctionnelle)
Président : M. ZANGIACOMI,
Avocat général : M. BARBIER
Audience du mercredi
Jugement rendu le 25 septembre 1857
contre LES MYSTERES DU PEUPLE, par EUGENE SUE
Texte du jugement
1._ " Attendu que l'ouvrage en seize volumes, intitulé les Mystères du Peuple ou Histoire d'une Famille de prolétaire à travers les âges, par Eugène Sue, est resté la propriété de La Châtre, aux termes d'un acte sous seing privé en date du 1er janvier 1854 ; qu'il l'a publié avec Chabot dit Fontenay ; que la veuve Dondey-Dupré l'a imprimé ;
2._ " Attendu que si cet ouvrage a été commencé en 1849, il a été continué jusqu'en 1857 ; que, dès lors, ses publicateurs et imprimeur ne peuvent invoquer la prescription, puisqu'il a été publié et imprimé depuis moins de trois ans ; qu'en effet, les huit premiers volumes ont été l'objet de nouveaux tirages, ainsi qu'il résulte du procès verbal de commissaire de police Nusse, en date du 7 mai 1857 ;
3._ " Attendu que l'auteur des Mystères du peuple, Eugène Sue, décédé au cours de la poursuite, n'a entrepris cet ouvrage en 1849 et ne l'a continuer jusqu'en 1857 qu'en haine des institutions et du gouvernement de son pays, que dans un but évident de démoralisation ;
4._ " Que l'on y trouve, en effet, dans chaque volume, à chaque page, la négation ou le renversement de tous les principes sur lesquels reposent la religion, la morale et la société ;
5._ " Que la morale religieuse y est outragée et travestie, les bonnes moeurs outragées par des descriptions immorales, par des tableaux indécents, obscènes, la morale publique méconnue, abaissée par un système de réhabilitation d'actes aussi odieux que criminels flétris à toutes les époques et par toutes les sociétés ;
6._ " Qu'Eugène Sue représente la France comme ayant été partagée de tous temps en deux races, l'une la race franque, conquérante et oppressive, l'autre la race gauloise, conquise et opprimée ; qu'il présente cette division de race comme ayant traversé tous les âges, s'étant perpétuée jusqu'à nos jours et ayant amené l'oppression de la classe de la société qu'il appelle la race des prolétaires, successeur des Gaulois, par une autre classe qu'il nomme celle des tyrans couronnés, casqués, mitrés, successeurs des Francs, qu'il excite les premiers à se compter et à faire aux seconds une guerre d'extermination ;
7._ " Qu'à la tête de chacun des volumes des Mystères du peuple ; il a mis une légende qui contient un appel à l'insurrection ; qu'il fait l'apologie directe et la justification du massacre de septembre, du pillage, de l'incendie, du viol, du régicide, présentant ces actes criminels comme de justes et légitimes représailles que les prolétaires sont en droit d'exercer contre les souverains, la noblesse, les riches, le clergé, les puissants, non-seulement à raison des souffrances que ceux qui exerceraient ces vengeances auraient pu endurer, mais encore en raison des maux soufferts par leurs aïeux et de ceux qui attendent leurs descendants ;
8._ " Qu'il excite à arborer le drapeau rouge ; qu'il représente la propriété comme une usurpation.
9._ " Qu'il excite à la haine et au mépris du gouvernement établi par la Constitution, en faisant même, dans les deux volumes imprimés en 1857, appel à la République universelle, fondée sur le renversement du gouvernement français d'abord, et ensuite de tous les autres gouvernements ;
10._ " Qu'il fait l'éloge des sociétés secrètes, en disant que les membres de cette société ne sont animés que les plus nobles sentiments ; qu'ils ne travaillent qu'à détruire les oppresseurs du peuple, que les insurgés sont d'honnêtes gens qui ne se battent que pour ne pas mourir de faim, pour sauver leurs filles de la prostitution ;
11._ " Que la monarchie écrase le pays par la violence, le vol, le meurtre ; que les prolétaires ont toutes les vertus, et qu'il n'y a que vices et corruption partout ailleurs ;
12._ " Attendu qu'il y a danger pour la société à laisser plus longtemps en circulation l'ouvrage des Mystères du Peuple ; qu'on ne saurait douter de ce danger en présence de la saisie de cet ouvrage, qui a été faite sur la plupart des membres des sociétés secrètes poursuivis et condamnés depuis plusieurs années ;
13._ " Attendu, en conséquence, qu'il résulte de l'instruction et du débat qu'en publiant, en vendant et en mettant en vente depuis moins des trois ans l'ouvrage des Mystères du Peuple, par Eugène Sue, Maurice La Châtre et Chabot, dit Fontenay, le premier propriétaire, et tous deux publicateurs en commun dudit ouvrage, ont commis les délits : 1°d'outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes moeurs ; 2° d'outrage à la religion catholique ; 3° d'excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres ; 4° d'apologie de faits qualifiés de crimes ou de délits par la loi pénale ; 5°d'attaque contre le principe de la propriété ; 6° d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement établi par la Constitution, délits prévenus et punis par les articles 6 de la loi du 17 mai 1819, 26 de la loi du 26 mai 1819, 1er de la loi du 25 mars 1822, 3 de la loi du 27 juillet 1849, et 3 et 4 du 18 août 1848 ;
14._ " Que la veuve Dondey-Dupré, qui a imprimé Les Mystères du peuple, s'est rendue complice des dits délits en assistant, avec connaissance, La Châtre et Chabot, dit Fontenay, dans les faits qui ont préparé ou facilité ces délits et dans ceux qui les ont consommés, et en leur fournissant les moyens de les commettres ;
15._ " Faisant l'application à tous les prévenus des dispositions des lois précitées et des art. 59 et 60 à la veuve Dondey-Dupré et de l'art. 464 à ladite ;
16._ " Condamne Maurice La Châtre à un an de prison et à 6,000 francs d'amende ; Chabot dit Fontanay, à deux mois de prison et 2,000 francs d'amende, et la veuve Dondey-Dupré, à un mois de prison et à mille francs d'amende ;
17._ " Ordonne la destruction des clichés et la suppression de l'ouvrage les Mystères du Peuple, par Eugène Sue, de tous les exemplaires saisis et de tous ceux qui pourront l'être, et en ordonne l'entière suppression ;
18._ " Ordonne l'insertion du présent jugement dans cinq journaux ;
19._ " Condamne Maurice La Châtre, Chabot et la veuve Dondey-Dupré aux frais ;
20._ " Les condamne solidairement et par corps ;
21._ " Fixe la contrainte, à l'égard de Maurice de La Châtre, à deux ans, à l'égard de Charbot et de la veuve Dondey-Dupré, la fixe à un an. "