LES MYSTÈRES DE PARIS

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  Les Mystères de Paris (1842-1843) sont avec Le Juif errant (1844-1845) le seul roman d'Eugène Sue à être résumé dans les grands ouvrages de littérature, c'est la raison pour laquelle nous considérons qu'il n'est pas nécessaire d'en intégrer un à cette fiche oeuvre. C'est incontestablement le seul roman d'Eugène Sue qu'a retenu le XXe siècle. Comment expliquer que le succès de ses autres romans soit demeuré ignoré, obscurci par la popularité incroyable des Mystères de Paris ?
Il s'avère que la publication de ce roman dans Le Journal des Débats provoqua un véritable engouement qui s'est manifesté par une augmentation conséquente du nombre d'abonnés. Les contemporains d'Eugène Sue, tels que les Goncourt, Balzac, Sainte-Beuve, Hugo, n'ont pas pu ignorer ce succès et il est souvent fait allusion à cet auteur. Dans " La Mansarde " de Théophile Gautier, que l'on trouve dans le recueil Emaux et camées (1852), on lit ces vers :

" Et vous y monté Rigolette,
riant à son petit miroir,
Dont la moitié ne reflète
Que la moitié de son oeil noir "

Il faut une note à l'heure actuelle pour identifier qui est Rigolette. Au XIXe siècle, tout le monde sait qu'il s'agit d'un personnage des Mystères de Paris. La popularité des personnages de ce roman est telle que Pipelet qui est le nom du concierge va devenir un nom commun.
Théophile Gautier n'est pas le seul à faire référence à Eugène Sue. On peut lire dans L'Assommoir (1877) par exemple que Lantier possède dans sa bibliothèque : " Les Mystères de Paris, et Le Juif errant d'Eugène Sue " (livre de poche, p. 227).
Quant à Victor Hugo il l'évoque dans Les Misérables (1862) d'une fa&ccdil;on fort élogieuse : " Deux puissants romanciers, dont l'un est un profond observateur du coeur humain, l'autre un intrépide ami du peuple, Balzac et Eugène Sue, ayant fait parler des bandits dans leur langue maternelle "
Certains lecteurs ont même confondu Rodolphe de Gerolstein avec Eugène Sue comme en témoigne le courrier des lecteurs, rassemblé par Jean-Pierre Galvan.
  Pourtant Les Mystères de Paris n'était pas le premier succès d'Eugène Sue, il venait plutôt apporter une confirmation non pas de son talent mais de son statut de grand écrivain. Le style ne fut malheureusement jamais le point fort de ce romancier. Peut-être aurait-il été moins méprisé, s'il avait été plus soigneux ; il avoue d'ailleurs fort honnêtement ne pas s'en soucier lorsqu'il écrit Les Mystères du peuple.
  Les Mystères de Paris marquent un tournant important dans la carrière romanesque d'Eugène Sue. Il fait son premier pas dans le socialisme, même s'il se manifestait déjà dans ses romans précédents dans celui-ci, il se met particulièrement en avant. Il fait des propositions de réformes sociales qui ont été sujets à une violente critique de la part de Marx et Engels dans la Sainte Famille (1845). Sa proposition de créer la Banque des pauvres est tout à fait irréalisable.
Rodolphe de Gerolstein incarne ce qu'Umberto Eco définit comme un surhomme. C'est un héros justicier équivalent à Monte-Cristo à la différence prêt qu'il n'agit pas uniquement pour lui-même. Bien sûr comme Perceval, il doit accomplir sa quête, il bénéficie pour cela de solides appuis, à commencer par sa richesse. Il y a une présence quasi-divine de ce personnage dans le texte, dieu vengeur et bienfaiteur, il est également doué du don d'ubiquité, il se bat dans les bas-quartiers de Paris aussi bien qu'il paraît à la cour. La révélation extrêmement rapide de la concordance entre le personnage de Fleur-de-Marie et de la fille de Rodolphe a dérouté les habitudes du roman feuilleton. Généralement les retrouvailles n'interviennent qu'au terme de nombreuses péripéties, mais Eugène Sue manie ses épisodes avec talent. Il prépare chaque fois de nouveaux rebondissement, et les lecteurs dans leur courrier lui font part de leur souhait quant au destin des personnages. Mais Eugène Sue n'aurait pas tenu compte de ces avis. Alors pourquoi fait-il mourir Fleur-de-Marie. La thématique de la courtisane ou de la prostituée qui tente de se racheter une conduite sera reprise de nombreuses fois, avec entre autres la Torpille dans Splendeurs et Misères des courtisanes (1845) de Balzac ou encore Marguerite Gautier qu'Alexandre Dumas fils a décrite dans La Dame aux camélias (1848). Ces deux romans sont publiés postérieurement aux Mystères de Paris, ainsi Eugène Sue ouvre la voie de la faute impardonnable. Certains ont émis l'hypothèse que le public ne pouvait accepter que la souillure du corps soit effacée par la vertu de l'âme. Un critique disait à propos du Rêve de Zola et de la mort d'Angélique, que personne ne pouvait mourir de tristesse, ce sont des chimères d'écrivain. Eugène Sue fait mourir Fleur-de- Marie de douleur, elle est coupable et tant que telle elle ne peut garder son rang dans le monde. La fuite dans le couvent ne lui permet pas d'échapper aux honneurs, elle meurt. Eugène Sue s'est souvent montré très misogyne. Le fait qu'il ne se soit jamais marié y-est-il pour quelque chose ? en tout cas nous constations ce même acharnement sur Mathilde à qui un malheur n'arrive jamais seule. On se souvient que dans La Vigie de Koat-vën, Henry de Vaudrey menait une vie détestable jusqu'à sa mort sans être puni par quelques figures justicières, tandis que sa femme meurt de douleur dans un couvent. Décidément, Eugène Sue semble s'impliquer.
  Dans Les Mystères du peuple, il tentera une réhabilitation de la femme au sein de la société, comme c'est le cas chez les Gaulois ; mais cette réhabilitation passe par une désexualision, voire une virilisation du personnage féminin. C'est la seule condition pour que la femme soit l'égale de l'homme. Quant à Rodolphe, il survit à toutes les tergiversations des Mystères de Paris puisqu'il apparaît à la fin des Mystères du peuple.

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