BIOGRAPHIE D'EUGENE SUE PAR EUGÈNE DE MIRECOURT :

Première partie
Deuxième partie
=>Troisième partie

        Il se faisait appeler le baron Sue, prenait des airs de duc et pair vraiment incroyables, et passait l'éponge sur sa roture avec beaucoup de candeur.
        On se chargea de lui rappeler son origine.
        Sous prétexte de disproportion d'âge, il fut éconduit très-poliment, le jour où il demanda la main de mademoiselle de N***.
        Quand au véritable motif du refus, c'est-à-dire au défaut de naissance, on ne se gêna pas le moins du monde pour le révéler dans les salons.
        Bientôt l'humiliante vérité parvint aux oreilles d'Eugène.
        - Ah ! vous me repoussez, cria-t-il, eh bien, nous allons voir ! Il s'agit de compter avec moi, race orgueilleuse... ou je saurai t'écraser !
        Sans plus de retard, il se fait actionnaire de la Phalange et de la Démocratie pacifique, s'imaginant qu'on va demander grâce à sa toute puissance littéraire. Ne peut-elle pas devenir terrible au service de la cause du peuple ?
        Mais personne ne bouge. La haute famille dont il sollicite l'alliance ne juge pas à propos d'amener pavillon.
        Eugène ne gagne à ses roueries et à son attitude menaçante que la déconsidération qui s'attache aux transfuges. Une dernière aventure achève de le rendre tout à fait socialiste.
        Ayez la complaisance, cher lecteur, d'écouter l'anecdote.
        Sans être positivement affligé de l'épouvantable maladie qu'il prête au notaire Jacques Ferrand dans les Mystères de Paris, Eugène Sue, gâté par ses vieux triomphes, a la funeste manie de vouloir exercer chez toutes les femmes le droit de conquête. Il ressemble à don Gusman, le cher homme, et ne connaît point d'obstacle.
        Admis chez une très-noble duchesse, et prenant ses bontés pour de tendres avances, il croit avoir touché son coeur, se précipite à ses genoux, lui adresse une déclaration brûlante, et s'oublie, dans son enthousiasme amoureux, jusqu'aux témérités les plus coupables.
        La duchesse se lève et sonne ses gens.
        Deux domestiques robustes, galonnés sur toutes les coutures, arrivent à cet appel.
        - Vous allez, dit la grande dame, prendre monsieur au collet... vous comprenez, au collet ?... puis vous le conduirez jusqu'à la porte de l'hôtel, qui pour lui dorénavant ne doit plus s'ouvrir.
        Elle accompagne ces paroles d'un geste impérieux.
        L'ordre de la maîtresse du logis reçoit son accomplissement, et, dès ce jour, Eugène Sue devient archidémocrate et socialiste à tout rompre.
        Voilà l'origine de ses convictions
        Jamais volte-face ne fut plus active et plus prompte. Le héros du royalisme, le contempteur du peuple, le chevaleresque partisan de l'ancien régime déchire sa bannière et passe à l'ennemi, la plume haute.
        Oui, citoyens !
        Et vous lui avez tendu les bras, comme vous avez fait jadis à Lamennais. Peu vous importe la manière dont se grossissent vos rangs : les apostats font nombre.
        Maintenant Eugène Sue est un de vos premiers apôtres. Vous avez le droit d'en être fiers.
        Notre illustre romancier tire dès lors à boulets rouges sur les classes aristocratiques. Il se montre d'une assiduité scrupuleuse aux réunions phalanstériennes, il prêche dans tous ses livres la révolte et l'anarchie.
        Bientôt les Mystères sont en cours de publication.
        Dans quel journal paraissent-ils, s'il vous plaît ? dans le Journal des Débats.
        Sous le système de corruption, qui, dix-huit années durant, pesa sur la France, les meilleurs amis du Château lui jouaient de ces tours, quand on fermait l'oreille à quelques-unes de leurs requêtes, ou quand on ne laissait pas le champ libre à leurs vues ambitieuses.
        Mystères de Paris dans les Débats, Juif errant dans le Constitutionnel.
        Ainsi que Véron, notre estimable et cher docteur, Armand Bertin sans doute avait contre Louis-Philippe de graves sujets de plainte. Ils se vengèrent l'un et l'autre du système, en aidant l'écrivain empoisonneur à débiter sa drogue [En dehors de l'odieux du livre, pris au point de vue général, on y remarque assez bon nombre d'infamies particulières très-caractérisées. La duchesse de Lucenay et la comtesse d'Harville sont de nouveaux portraits de maîtresses parfaitement reconnaissables. Décrier et perdre des femmes dont le seul tort est de s'être montrées faibles et d'avoir cru à votre honneur, est un acte qui, dans tous les pays du monde, se qualifie de la même manière par le même mot.].
        Jamais on n'est trahi que par les siens.
        Vous connaissez à présent, lecteur, la véritable cause de cette guerre déloyale faite à la société par M. Eugène Sue. Les tristes résultats de cette guerre vous ont plus d'une fois inspiré de l'épouvante ; mais rassurez-vous, les attaques de cet homme cesseront un jour, - quand il sera lui-même victime des passions qu'il soulève.
        Curieux d'étudier les types de son livre sur nature, et trouvant que le caractère de Rigolette surtout mérite des recherches approfondies, l'auteur du feuilleton des Débats juge convenable de nouer connaissance avec une jeune ouvrière, aux yeux de laquelle il se fait passer pour un peintre en décors.
        Affublé d'une blouse et d'une casquette, Eugène se promène avec son type, tous les dimanches et tous les lundis, à la barrière Mont-Parnasse ou à la Courtille.
        On mange du lapin sauté dans la première gargote venue ; puis on se rend au bal, où l'intrépide Rigolette, enlevée par le piston, casse bras et jambes à son téméraire danseur.
        Heureusement il est permis au faux peintre en décors de se reposer le reste de la semaine, et ses loisirs sont alors consacrés à l'étude de l'argot.
        Le professeur d'Eugène Sue, dans cet élégant et noble idiome, fut un Auvergnat de son voisinage, qui, pour le mot surineur, par exemple, dérivé de surin (couteau), adoptait tout naturellement la prononciation excentrique puisée aux sources les plus pures du Cantal.
        Eugène écrivit comme prononçait son maître, et voilà pourquoi nous avons chourineur, sans compter les autres fautes d'argot, dont fourmille ce malheureux livre des Mystères.
        Un spirituel journaliste, Adolphe de Balathier, s'amusait dans une petite Revue de l'époque à redresser toutes ces fautes et à critiquer l'oeuvre dans son ensemble.
        Au deuxième article, il reçut le billet suivant :

        " Vous abîmez un homme qui vaut mieux que vous et les vôtres ! Mais patience ! bientôt nous jouerons aux quilles avec votre tête ! "

        Un lecteur sérieux d'Eugène Sue ne pouvait écrire dans un autre style.
        Le Juif errant ne tarda pas à paraître à son tour [Dans l'intervalle qui sépara les deux publications, Eugène Sue donna Thérèse Dunoyer, et fit représenter au boulevart le drame du Prince Noir ou les chauffeurs, toujours avec la collaboration de Dinaux.] , et nous avons dit ailleurs de quel prix énorme Véron paya cet ouvrage, où les doctrines jésuitophobes se marient avec tant de grâce au dogme démocratique et social.
        Saisis d'admiration à la lecture de ce livre, messieurs les libéraux belges frappèrent une médaille en l'honneur d'Eugène Sue.
        Peut-être ne sera-t-on pas trop fâché d'apprendre un second fait à leur éloge.
        Le chiffre de la souscription ayant, en quelques jours, excédé le prix de la médaille, on employa le surplus à fabriquer une magnifique édition du Juif errant, et ce catéchisme d'un nouveau genre fut distribué gratis au peuple des campagnes belges [En revanche, les réfutations des ouvrages d'Eugène Sue n'ont été nulle part aussi nombreuses qu'en Belgique.].
        Il serait vraiment par trop injuste de ne pas remercier ces nobles patriotes au nom de la société, de la morale et de la religion.
        L'auteur socialiste conclut avec le Constitutionnel un traité qui lui garantissait une somme de cent mille francs, pendant quatorze années consécutives, c'est-à-dire près d'un million et demi pour la simple bagatelle de dix volumes par an.
        Mimi Véron laissait déborder sa caisse et couvrait d'or son exterminateur de jésuites.
        Il s'imagina que la France entière devisait avidement glisser le regard jusqu'au fond du temple où le dieu du feuilleton élaborait ses merveilles, et tout aussitôt il servit à ses abonnés, sur le logement d'Eugène, cette agréable tartine descriptive :

        Il habite, dans les hauteurs du faubourg Saint-Honoré, une petite maison tapissée de lianes et de fleurs, qui font voûte au péristyle. Son jardin est amoureusement arrangé, frais et parfumé ; un jet d'eau bruit au milieu de roches et de joncs. Une longue galerie fermée, tapissée de sculptures et de plantes, conduit de la maison à une porte extérieure, toute dérobée sous un rocher artificiel. Le logement se compose de très-petites pièces, un peu étouffées, tenues obscures par des lianes et les fleurs pendantes aux fenêtres. L'ameublement est rouge à clous d'or ; la chambre à coucher seule, plus claire et bleuâtre. Les meubles, très nombreux, s'entassent, non sans confusion, entre d'épaisses tentures. Il y a là un peu de tous les styles : gothique, renaissance, fantaisies françaises. Le salon est rocaille. Les murailles sont cachées par les objets d'art, bahuts, curiosités diverses, peintures et sculptures, portraits de famille, oeuvres magistrales, oeuvres des artistes modernes, ses amis. Des vases précieux, dons des amitiés féminines ( on tient décidément à cette expression), couvrent les consoles. L'un d'eux est un hommage respecté d'une main royale. Des noms glorieux brillent de toutes parts : Delacroix, Gudin, Isabey, Vernet, etc. Dans un cadre, on voit un dessin de Mme de Lamartine et des vers de l'illustre poète. Un tableau occupe une place privilégiée, sur un chevalet, au milieu des coquetteries du salon : c'est un Anachorète d'Isabey, d'un effet terrible, contraste remarquable dans ce petit temple de la volupté. De tout cela sort un parfum doux, où se distingue la saine odeur des cuirs de Russie. Les chevaux et les chiens que M. Sue a préférés, peints par lui-même ou par Alfred de Dreux, gardent compagnie à qui les caressait autrefois et se recommandent au souvenir amical. Dans le vestibule, au milieu de l'attirail et des trophées de la chasse, un loup et un oiseau de proie, autrefois apprivoisés et aimés, revivent empaillés dans la demeure du maître. Au bout du jardin sont logés avec soin deux magnifiques lévriers, présent de Lord Chesterfield. De beaux faisans dorés et des ramiers se promènent librement sur le gazon du jardin, et viennent chaque soir se coucher sur les jardinières des fenêtres et sous le perron, gardiens ailés du seuil, élégants et doux amis de la maison. En parcourant cette demeure, que la main d'un ami ouvrait pendant l'absence du propriétaire, nous devinions bien des traits du caractère : la passion du luxe et des plaisirs bruyants, avec des retours vers la retraite et la méditation ; le goût éclairé des beaux-arts, l'attrait pour les obscurités raffinées, l'amour des animaux et des plantes. "
        C'est très mal écrit, mais c'est fort curieux.
        Seulement Mimi Véron a négligé certains détails, et nous sommes obligés de compléter ce qui précède.
        Pourquoi ne rien dire d'un portrait d'Eugène, peint à l'époque où notre graveur aurait dû le prendre, c'est-à-dire, au temps où ces dames se disputaient le beau Sue [Ce portrait occupait la place d'honneur, au-dessus de la cheminée du salon.]? Afin d'encadrer l'image plus dignement, la muse du matérialisme et des joies sensuelles a daigné composer tout autour une guirlande de vers, au bas desquels se lit la signature d'Alfred de Musset.
        Comme le docteur Véron parcourait le logis en l'absence du maître, il ne parle ni des femmes de chambre habillées à la mode athénienne, ni d'un peuple de laquais à la livrée quasi-royale, ni de ce groom originaire de Douarnenez, auquel, de temps à autre, pour humilier Racine et se procurer un divertissement original, notre romancier fait lire à haute voix un acte de Phèdre ou d'Athalie, que ce déclamateur d'un nouveau genre débite avec un abominable accent bas-breton.
        Le Constitutionnel oublie :
        Les gants-pailles que le père du Juif errant passe, avant d'écrire, à ses mains illustres [M. Eugène Sue pousse la délicatesse et la propreté jusqu'à faire savonner par ses domestiques les pièces d'or qu'il met dans sa bourse.], et dont la note s'élève, chez le parfumeur, à cent écus pas mois, économisés sur le chapitre de l'aumône ;
        Le riche plateau, ciselé par Froment Meurice, sur lequel on présente à l'écrivain ses gants et ses lettres ;
        Les ciseaux d'or, destinés à couper le papier ;
        La fameuse écritoire de onze mille francs, chef-d'oeuvre de l'art moderne, où la plume va puiser l'encre, qui s'épanche sur le vélin en doléances éternelles, pour retracer la misère du pauvre.
        Il ne mentionne pas non plus la fourniture immense de fleurs naturelles, dont le vestibule et les galeries de ce magnifique séjour sont émaillées.
        Chargée davantage au total que la note du parfumeur, celle du fleuriste monte à huit cents francs par mois, toujours économisés sur le chapitre de l'aumône.
        Hélas ! Mimi Véron, qui payait tout ce luxe, fut singulièrement récompensé de ses largesses !
        Après le Juif errant, Eugène Sue lui apporte les Sept Péchés capitaux. Notre pauvre docteur, feuilletant un jour le manuscrit de la Gourmandise, tressaille, se frotte les yeux, continue de lire, et se sent pris de vertige.
        Il acquiert la preuve d'une épouvantable perfidie.
        Son romancier de prédilection s'est amusé à peindre de pied en cap, et, sans le hasard, qui lui a mis devant les yeux ces pages traîtresses, Véron allait être servi à ses propres abonnés sous la forme d'un gros péché capital.
        Jugez comme il proteste !
        Eugène déclare qu'il ne changera pas une ligne au manuscrit. Il argue du traité, son droit est formel ; mais nonobstant toutes les clauses, Véron s'obstine à ne pas vouloir se laisser insérer tout vif.
        On parle de procès.
        Véritablement, il eût été curieux d'entendre ce bon docteur soutenir au tribunal que le portrait du gourmand lui ressemblait trop pour qu'il l'imprimât.
        Une petite feuille pleine de malice, la Silhouette, prétendit que le traité entre le Constitutionnel et Eugène Sue permettait à celui-ci de diviser en deux son nouvel ouvrage, et d'en offrir une partie à la Presse. On eût ainsi donné à M. de Girardin l'Orgueil, la Colère, le Mensonge et l'Envie, et Véron eût conservé la Gourmandise, la Paresse et la Luxure.
        Mais cela n'arrangeait rien.
        Des tiers officieux et plus habiles amenèrent une résiliation du traité. Véron fut imprimé dans le Siècle, et, depuis, ce journal partage avec la Presse le privilège de la publication des oeuvres d'Eugène Sue .
        Il est temps de quitter le domaine des faits et d'en venir à une courte appré,ciation littéraire. Notre siècle a donné naissance à foule de littérateurs, exclusivement mécaniciens et charpentiers, si nous pouvons nous exprimer de la sorte.
        Eugène Sue est à la tête de cette phalange.
        Il a de l'invention, des rouages. Ses drames sont mouvementés, saisissants ; il manie l'horrible avec beaucoup de vigueur, mais il manque absolument de style. C'est un Paul Féval porté à la trentième puissance, avec moins d'esprit encore et moins de sensibilité véritable.
        La punition de tous ces écrivains au mètre, qui négligent la forme pour entraîner avec eux le lecteur au travers d'événements multiples, sera de voir leurs livres oubliés dans vingt-cinq ans.
        Ils stimulent à force de poivre les palais blasés ; on dévore avec un certain plaisir leurs épices littéraires, mais l'indigestion arrive et tout est dit.
        Nous avons entendu Balzac expliquer à sa manière le succès d'Eugène Sue.
        " - Tous ces caractères sont faux, disait-il. Fleur de Marie, Jacques Ferrand, Rodin, Mathilde, Arthur et cent autres, n'ont jamais été dans la nature. Mais, ces caractères faux admis, Eugène Sue les poursuivra, s'il le faut, pendant quinze ou vingt volumes, avec une logique incroyable. C'est absolument comme au théâtre. Une situation impossible passe, il en résulte un succès. Or, ceci rentre dans la catégorie des surprises, et l'art n'a rien à y réclamer. Tout ce qui n'est point établi sur la grande science du coeur humain, tout ce qui roule sur le galvanisme, tout ce qui défavorise les intérêts grossiers et les passions d'un jour ne dure pas. "
        Eugène Sue possédait, aux environs d'Orléans, une habitation de plaisance, appelée le château des Bordes [Il a vendu, en décembre 1852, cette propriété à son beau-frère Caillard, ainsi que le riche mobilier de la rue de la Pépinière.].
        Pendant que les malheureux villageois, ses voisins, pleuraient de misère en 1848, il écrivait là fort paisiblement ses oeuvres, au milieu de tous les raffinements du luxe et de la mollesse.
        Il avait transporté aux Bordes ses domestiques mâles et femelles.
        Ce mahométan occidental, ce pacha socialiste, entouré de ses femmes de chambre grecques, pouvait les prendre, pouvait les prendre pour autant de houris voluptueuses, et, quand les pauvres d'alentour lui demandaient du pain , cet ami des classes souffrantes commandait à Froment Meurice deux magnifiques sceaux à glace, d'un prix énorme, autour desquels courait une frise d'un merveilleux travail.[On affirme qu'à cette époque, il fit attendre plus de quinze mois le règlement de leur mémoire à de malheureux ouvriers menuisiers, serruriers et d'autres, qui avaient exécuté des travaux aux Bordes. Si Eugène Sue ne donnait pas de pain aux pauvres, en revanche il leur faisait distribuer gratis le Républicain des Campagnes, trouvant sans doute plus urgent d'éclairer le peuple sur ses droits que de le nourrir. Toutefois, on assure que, depuis trois ans, il a changé de système, et qu'il se montre généreux pour les frères et les amis. Nous voulons croire qu'il n'y a là-dessous ni peur ni contrainte].
        Porté, peu de temps après, à la députation, il déclara dans un club que personne n'avait droit au superflu, si quelqu'un manquait du nécessaire.
        O comédie, dont nous avons pu voir toutes les scènes et juger tous les acteurs !
        Eugène Sue ne voulait pas accepter d'abord le mandat de représentant ; mais on sut l'y contraindre. Homme faible, il appartient à celui qui le saisit de vive force ou qui le subjugue par la menace ; homme fastueux et dévoré de besoins immenses, il se livre au parti qui lui apporte des millions, car, autant que la peur, l'intérêt le cloue au pilori socialiste.
        Depuis longtemps les bourgeois ne lisent plus ses livres. Le peuple seul les dévore et les paye.
        A l'époque de son élection, ses adversaires politiques eurent soin d'afficher sur les murs de Paris certains passages de sa fameuse préface de la Vigie de Koatven. Tout à l'heure nous allons reproduire nous-même quelques-unes de ces lignes curieuses.
        D'autres ennemis du candidat crièrent très haut que l'auteur des Mystères et du Juif errant prêchait la bienfaisance, parce que cette thèse le faisait royalement vivre.
        On lui demanda combien il avait donné aux nécessiteux depuis Février.         Sur le-champ, sans retard, Eugène Sue répond en étalant un certificat du maire de sa commune, pièce triomphante, de laquelle il résulte que, pendant les deux premiers mois de la république, il a soulagé l'indigence de ses frères des Bordes, en donnant pour eux à l'autorité municipale une somme de cent vingt francs.
        Répartie entre deux cents familles, pendant deux mois, cette somme représente, pour elles toutes, deux francs par jour, c'est à dire, un centime juste par famille.

        " Malheur à ceux-là, bien fous ou bien méchants, qui, avec quelques mots vides ou retentissants, le progrès, les lumières de la régénération, ont jeté en France, en Europe, les germes d'une épouvantable anarchie...- Ceux qui méritent à tout jamais le mépris et l'exécration de la France, ce sont ces habiles qui, pour parvenir au pouvoir et se le partager, ont dit un jour au peuple : Tu es souverain !...
        Anathème et honte sur ces courtisans de popularité, qui, du milieu d'une oisiveté voluptueuse, spéculent sur les misères du pauvre, et l'excitent à la haine et à la vengeance ! "

        Nous empruntons ces paroles à l'écrivains même dont nous venons de retracer la vie.
        Elles sont terribles.
        Ce n'est pas notre faute, si elles retombent aujourd'hui sur sa tête, avec la pesanteur d'une malédiction.

FIN.


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