BIOGRAPHIE D'EUGÈNE SUE PAR MAURICE LACHÂTRE :


Eugène Sue est né à Paris, le 17 janvier an XII de la République (1804), d'une famille originaire de Lacolme, près de Cannes, en P
rovence, dans laquelle la profession médicale sembla avoir été héréditaire. Eugène Sue, dont les véritables prénoms sont Marie-Joseph, avait eu pour marraine l'impératrice Joséphine. Lorsqu'il eût atteint l'âge d'homme, il embrassa, comme son père et ses aïeux, la carrière médicale, et entra dans la marine avec le titre de chirurgien. En cette qualité, il visita l'Asie, l'Amérique, les Antilles ; il assista, à bord du vaisseau de ligne le Breslaw, à la bataille de Navarin. Cette vie d'aventures et d'observation personnelle préparait heureusement l'esprit de l'écrivain et lui fournissait la matière des premiers romans qu'il devait publier bientôt : Kernock, le Pirate, Plick et Plock, Atar-Gull, la Salamandre, la Vigie de Koatven, romans maritimes qui eurent tous un éclatant succès et fondèrent la réputation de l'auteur. Il réussit également dans le roman historique et lutta de réputation avec Walter Scott en publiant Latréaumont, Jean Cavalier, Létorières et le Commandeur. Enfin, il attaqua le roman de moeurs, le roman par excellence, et publia Arthur, la Coucaratcha, l'Hôtel Lambert et Mathilde. Tous ces romans, le dernier surtout qui est un chef-d'oeuvre, eurent un succès immense et élevèrent au plus haut point la renommée et la gloire du romancier. Mais son triomphe littéraire devait être porté encore plus haut par une oeuvre inouïe, étrange, hardie, qui montrait au monde attendri, ému, saisi d'horreur et d'épouvante, les mystères de la vie quotidienne de l'horrible Capharnaüm qu'on nomme Paris, mais le Paris en haillons, croupissant dans la misère, se ruant dans les ruisseaux infects, grouillant dans les geôles, pour finir au bagne ou à l'échafaud. Alors parurent LES MYSTÈRES DE PARIS. Ici Eugène Sue va remplir un grand devoir ; il va faire oeuvre de moraliste et de philosophie ; il va nous montrer les plaies hideuses que recouvre à peine le vernis de notre civilisation, et va appeler sur ce mal immense, profond, les remèdes énergiques des hommes chargés du gouvernement des sociétés. Jamais écrit n'a produit une telle sensation sur un monde entier de lecteurs. L'événement politique le plus terrible ou le plus glorieux n'aurait pas été capable de détourner l'attention publique entièrement captivée par cette étrange révélation, cette lecture d'incantation. Les noms des personnages de ce livre étaient dans toutes les bouches ; Fleur-de-Marie, Rigolette, Pipelet, Rodolphe, Cabrion, etc., etc., et tenaient en suspens tous les esprits. Le livre avait produit l'effet que l'auteur attendait : il avait attiré l'attention de tous sur les plaies sociales ; et l'année suivante, il continua l'oeuvre réformatrice par le roman du JUIF-ERRANT, qui devait jouir du même succès. L'intention de l'auteur, en publiant ces deux livres, se révèle dans la dédicace de son roman du Juif- Errant : " J'ai mis çà et là en relief et en mouvement quelques faits consolants ou terribles se rattachant de près ou de loin à la question de l'organisation du travail, question brûlante qui bientôt dominera toutes les autres, parce que, pour les masses, c'est une question de vie ou de mort. Dans plusieurs épisodes de cet ouvrage, j'ai tenté de montrer l'action admirablement satisfaisante et pratique qu'un homme de coeur noble et d'esprit éclairé, pourrait avoir sur la classe ouvrière ; par opposition, j'ai peint ailleurs les effroyables conséquences de l'oubli de toute justice, de toute charité, de toute sympathie envers ceux qui, depuis longtemps voués à toutes les privations, à toutes les misères, à toutes les douleurs, souffrent en silence, ne réclamant que le droit au travail, c'est-à-dire un salaire certain, proportionné à leurs rudes labeurs et à leurs besoins. A défaut de talent, on trouvera du moins dans mon oeuvre de salutaires tendances et de généreuses convictions. "

Ces tendances, ces généreuses convictions se sont montrées en effet dans le Juif-Errant et dans tous les travaux postérieurs du grand écrivain, notamment dans les Misères des enfants trouvés. Pour terminer cette liste de chefs-d'oeuvre, nous mentionnerons LES MYSTÈRES DU PEUPLE, ou Histoire d'une famille de prolétaires à travers les âges. Dans cet ouvrage, Eugène Sue fait ressortir les plus hauts enseignements de l'histoire sous une forme constamment attrayante. Les Mystères du Peuple sont une de ces oeuvres qui placent leur auteur parmi les plus grands écrivains dont puisse s'honorer la littérature d'une nation, et qui ont bien mérité de l'humanité. Les premières livraisons parurent au mois de novembre 1849 et obtinrent un prodigieux succès qui dépassa même celui des Mystères de Paris et du Juif-Errant. De tous les points de la France affluèrent aux Bordes, où il résidait, dans le département du Loiret, des adresses de félicitations pour encourager l'auteur et l'inviter à continuer son oeuvre patriotique.



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